Google, Amazon, Meta, Microsoft et Apple ne sont pas que de grandes entreprises du numérique. Elles maîtrisent de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Elles ont un impact sur nos manières d’acheter, nos outils d’information et de penser le monde. Ce n’est pas sans raison : les fondateurs de Google ont créé un outil hyper efficace pour faire des recherches sur internet au début des années 2000, le fondateur d’Amazon a eu le génie mercantile qui facilite les achats en ligne, le fondateur de Facebook, patron du groupe Meta, a créé un outil extraordinaire pour relier les gens les uns aux autres, etc.
Si le parcours de ces entreprises et entrepreneurs peut avoir quelque chose de fascinant, ils ont également en main une puissance démentielle comme j’en parlais dans le chapitre 1. Je suis une partisane de l’économie locale et décentralisée. Consommer au minimum dans les supermarchés et privilégier autant que possible des producteurs, artisans et marchés locaux. J’ai ce même penchant quand on parle de numérique. Ce chapitre est donc consacré aux outils à notre disposition pour « consommer local ».

Quelques notions
Logiciel libre ?
Pour pallier la mainmise des Géants du net sur les outils numériques, de nombreuses initiatives existent depuis l’invention de l’informatique. Je dirais même plus : le logiciel libre précède la mainmise des grandes entreprises sur le secteur. À l’époque où les informaticiens étaient des geeks qui agençaient des cartes électroniques avec des disquettes dans leur garage, le partage des savoirs, des logiciels et des méthodes étaient la norme. Quand Microsoft a commencé à interdire la copie de son premier Windows, de nombreuses copies pirates ont été créées en réaction à cette dérogation à la règle tacite : tous les logiciels évoluent grâce au travail de la communauté dans son ensemble, mettre des licence sur des logiciels est à la fois un non sens et une appropriation du bien commun.
Ce courant qui promeut la propriété commune des savoirs numériques a été théorisée et a pris le nom de « logiciel libre » dans les années 80 sous l’égide de Richard Stallman, un universitaire américain du Massachusetts Institute of Technologie (MIT). Ce dernier est un fervent promoteur du Copyleft, qui à l’opposé au Copyright, est « une autorisation de l’auteur d’utiliser, d’étudier, de modifier et de diffuser son œuvre dans la mesure où cette même autorisation reste préservée ».
L’un des objectifs des libristes – les partisans du libre, c’est que chacun puisse utiliser le travail de tous afin d’être maître de ses outils, de ses données, de lui-même. Je vais essayer d’expliquer un peu plus clairement la différence entre un logiciel propriétaire et un logiciel libre.
Logiciels propriétaires et logiciels libres
Les logiciels libres sont des logiciels qui peuvent être utilisés, étudiés, modifiés, redistribués librement. Ils ont le plus souvent été réalisés de manière collaborative et peuvent être améliorés, dupliqués, réadaptés par celles et ceux qui le souhaitent. On oppose les logiciels libres aux logiciels propriétaires que l’on peut acheter ou parfois utiliser gratuitement, mais dont seul.es les propriétaires connaissent le fonctionnement exact (l’algorithme Google, les processus internes de Windows, etc). Comme on n’a pas accès au code source, nous devons faire confiance à ce qu’ils nous disent, mais personne ne peut le vérifier.
Si on prend une voiture, une voiture libre serait une voiture que l’on nous fournirait avec un document expliquant chacune des étapes de fabrication et que l’on pourrait réparer, modifier, reproduire, redonner ou revendre à qui que ce soit. Les droits de propriétés seraient dans le domaine public.
Une voiture propriétaire serait une voiture dont on nous donnerait le droit d’usage mais qui ne nous appartiendrait jamais totalement. On nous expliquerait comment le propriétaire souhaite que nous utilisions le véhicule, sans nous donner le moyen de l’utiliser autrement. Nous ne pourrions pas la réparer sauf si le propriétaire y consent. Nous ne pourrions pas modifier car nous n’aurions pas accès aux différents éléments qui la compose. Nous n’aurions pas la possibilité de la donner ou de la vendre car elle ne nous appartient pas.
Dans le premier cas, le code source étant ouvert, les personnes qui ont les compétences pour le lire – compétences que nous pouvons acquérir – peuvent vérifier qu’il n’y a pas de GPS espion dans la voiture qui nous traquerait où que nous allions, qu’il n’y a pas de limitateur qui nous empêcherait de faire des opérations qui nous intéressent. Et si jamais ces éléments s’y trouvaient, il serait facile de les supprimer et/ou de repartager une nouvelle voiture qui n’inclut pas ces éléments.
Le principe du logiciel libre s’est développé dans de nombreux aspects de la vie quotidienne, notamment dans d’autres types de technologies : panneaux solaire thermiques, fours de boulangerie, machines paysannes, où des collectifs ont créé et améliorent constamment des plans de construction partagés sous licence Creative Commons. On retrouve cette licence également dans la « culture libre » avec des films, des livres, des musiques qui n’appartiennent plus à leurs créateurs et créatrices mais qui deviennent des biens communs universels. Le Creative Commons est l’une des multiples licences créée en opposition au copyright.


« Mais les logiciels libres, ça ne marche pas très bien »
Quand on parle de logiciel libre, il arrive régulièrement que cette idée surgisse. Est-ce vrai ? Oui. Et non. Soyons honnêtes, certains logiciels de Microsoft ont eu des périodes où ils étaient vraiment mal foutus. La version de Windows Vista était truffée de bugs lors de sa sortie, à tel point que l’entreprise a sorti un « service pack 2 » quelques mois plus tard pour récupérer le coup. Pourtant, beaucoup d’entre nous utilisent Windows au quotidien et on s’en sort, non ?
Wikipédia, l’encyclopédie libre, est totalement basée sur la philosophie du libre et est devenue une référence incontournable du web. WordPress, un outil de création de sites internet, est à la base de plus de 43 % des sites internet dans le monde. Le noyau Linux est à la base du système Android, le système d’exploitation de la majorité de nos téléphones portables ainsi que de la majorité des serveurs web. En réalité, les logiciels libres sont des outils particulièrement puissants. La philosophie du libre permet à de nombreuses personnes de participer et de contribuer à améliorer les outils. La plupart des logiciels libres sont développés par des personnes qui cherchent en premier lieu à résoudre des problèmes qu’elles ont elles-mêmes et elles partagent cet outil avec les autres. Ces programmes sont réalisés par des volontaires sur du temps long. Un logiciel libre publié au début des années 2000 peut être très peu accessible au grand public, avec de nombreux bugs. Mais l’utilisation par quelques-uns permet de faire remonter les problèmes et les usages attendus. Cela facilite les améliorations progressives et permet d’avoir un logiciel qui évolue positivement, qui s’améliore avec une communauté impliquée de plus en plus forte. Les décisions sont prises avec les retours d’expériences des utilisateurs. La philosophie est guidée par l’utilité et le bien commun. Au milieu des années 2010, le même logiciel peut donc être accessible à un plus grand nombre et devenir aujourd’hui un outil particulièrement adapté à chacun.e.
Quand une entreprise vend un produit, elle ne peut pas se permettre de faire payer un produit en phase de travail. Elle emploie de très nombreuses personnes pour mettre au point sa technologie, elle se doit d’être concurrentielle, d’être à la pointe. Cela demande des investissements conséquents, sans cesse renouvelés pour offrir de nouvelles versions.
Les produits propriétaires sont-ils plus efficaces ? Oui, pour certains produits de niche. Par exemple, bien que les logiciels de traitement d’images tels que Gimp, Inskape et Scribus soient de très bons logiciels, les logiciels développés par Adobe (Photoshop, Illustrator et InDesign) ont des avantages techniques formidables. Sauf que les logiciels d’Adobe sont hors de prix, nous devons les repayer en permanence et, pour plus de 90 % des usages que j’en aurais, même en tant que professionnelle, je peux tout à fait travailler sur les logiciels libres.
Le logiciels propriétaires sont-ils plus efficaces ? Non, pour les outils du quotidien. Les logiciels tels que le navigateur Firefox, le gestionnaire de mail Thunderbird, la suite bureautique LibreOffice et j’ai envie d’ajouter le système d’exploitation Linux, répondent tout aussi bien, voire mieux, que leurs concurrents propriétaires aux usages nécessaires à la grande majorité d’entre nous. Et pour couronner le tout, ils sont libres d’utilisation et n’utilisent pas nos données personnelles à des fins mercantiles.
Les logiciels libres sont-ils plus difficile d’accès ? Oui. Et non. En fait, cela dépend des logiciels et de leurs stade de développement. Lorsque j’ai essayé de passer sous Linux au milieu des années 2000, je trouvais le système trop compliqué, j’ai abandonné. Lorsque j’ai ré-essayé au début des années 2010, j’ai trouvé l’expérience beaucoup plus fluide et intéressante. J’ai eu quelques moments avec, et quelques moments sans. Depuis 2018, je suis passée intégralement à Linux et j’en suis totalement satisfaite ! Quel plaisir d’avoir un système beaucoup plus léger et rapide sans toutes les lourdeurs de Windows qui évolue en permanence ! De nombreux logiciels libres sont tout à fait accessibles facilement. Ce sont généralement des logiciels qui existent depuis longtemps et qui ont eu le temps d’améliorer leur interface et leur « expérience utilisateur ».
Parce que l’un des problèmes des logiciels libres – pour nous, utilisateurs et utilisatrices en bout de chaîne n’ayant pas l’habitude des lignes de code – c’est que les développeurs se concentrent sur le fait que les outils fonctionnent, que les bons processus s’enclenchent et donnent les résultats attendus. Que la technique fonctionne. Quant à l’esthétique et à la prise en main grand public du logiciel, ils n’ont généralement pas ce besoin esthétique et n’ont tout simplement pas les compétences pour le faire. C’est là que le logiciel libre a besoin de profils variés, qui travaillent sur de multiples niveaux. Les personnes qui s’occupent de ce que l’on appelle « l’expérience utilisateur » ne sont pas assez nombreuses, et de multiples autres savoirs sont nécessaires. Si ça vous tente, n’hésitez pas à contribuer (voir page xx). Vous aurez peut-être remarqué que je n’ai pas féminisé le terme de développeur. Peut-être parce que les développeurs sont essentiellement des hommes (plus de 90%). C’est une autre thématique mais je tenais à le souligner.
Pour conclure, ce n’est pas le fait que le logiciel soit un logiciel libre qui fait qu’il va être plus ou moins facile à utiliser, mais son stade de développement. Et comme les logiciels libres sont mis à disposition assez tôt, certains sont effectivement moins attractifs dans leurs usages.
Une autre problématique des logiciels libres, c’est le manque d’habitude. Êtes-vous déjà passé de l’utilisation d’un ordinateur Apple à un ordinateur sous Windows ? C’est perturbant n’est-ce pas ? Passer d’une interface à une autre, d’une logique à une autre, demande un temps d’adaptation qui n’est pas agréable surtout quand on veut être efficace, que l’on a ses habitudes et que l’on n’a pas envie d’en changer. Quel que soit le logiciel que vous utiliserez, vous préférerez sans doute celui que vous avez utilisé quand vous avez découvert ce type de logiciel. Ça a été mon cas avec Photoshop – j’ai un mal fou à passer sous les logiciels de traitement d’images libres. À côté, j’ai découvert la mise en page avec le logiciel libre Scribus. Bien que je suis à l’aise avec InDesign – l’équivalent propriétaire d’Adobe que je dois utiliser pour certains travaux professionnels, je préfère toujours utiliser Scribus pour mes travaux personnels.
C’est un logiciel libre, donc je peux leur faire confiance. Je ne serais pas surveillée, mes données ne seront pas vendues…
Heuuu…. L’un n’implique pas directement l’autre et il y a différents facteurs à prendre en compte dans l’équation. Le logiciel libre a un code ouvert, qu’il est possible d’aller lire. Cela ne signifie pas qu’un développeur ou un groupe de développeurs ne peut pas ajouter dans le code du logiciel des usages malveillants. Mais s’il ou elle le fait, d’autres pourront s’en rendre compte et informer la communauté, d’autres pourront reprendre le code du logiciel et créer une version sans les données problématiques. Ce sont des outils qui facilitent un fonctionnement démocratique. Sur les logiciels les plus souvent utilisés, relus par de nombreuses personnes, un usage malveillant sera visible et difficilement inscriptible.
Aussi, il est important de distinguer le logiciel et le fournisseur d’un service basé sur un logiciel. Je pense notamment aux services disponibles en ligne : services mails, cloud, sites internet, etc. Certains services sont basés sur des logiciels libres, mais sont installés et gérés par des entités qui ont accès à nos données. Par exemple, le logiciel RoundCube – gestionnaire de mail – va être installé par Zaclys.com. RoundCube maintient et propose des mises à jour de son logiciel. Zaclys.com installe le logiciel sur son serveur, réalise les mises à jour proposées par RoundCube et gère la fiabilité de son serveur. Dans ce cadre, il ne s’agit pas juste de faire confiance aux concepteurs du logiciel, mais aussi à celles et ceux qui fournissent le service en ligne : à quelles données ont-ils accès ? Quelle est leur politique de confidentialité ? Risquent-ils de revendre mes données ?

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