STATISTIQUES
En 2021, la moyenne française d’utilisation d’internet est de 19h par semaine dont 6h pour regarder de la vidéo en ligne (23h pour les 18-39 ans).
Selon le Baromètre du numérique de l’ARCEP en 2022 :
- 40 % des français possèdent un objet connecté chez lui (lié à la santé, à la sécurité, à l’électroménager ou à la domotique).
- 62 % des Français jouent à des jeux vidéo
- 77 % font des achats sur internet
- 55 % sont abonnés à une service de VoD (Netflix, Amazon Prime ou autre)
- 58 % des Français déclarent ne pas pouvoir se passer d’Internet plus d’une journée sans que cela leur manque.

On associe souvent le terme « sobriété numérique » à la manière d’utiliser moins d’énergie et, pour caricaturer, à supprimer les mails non nécessaires de notre boîte mail.
Si je vais – un peu – parler de la consommation d’énergie du numérique, ce qui me tient beaucoup plus à cœur, c’est notre surutilisation des écrans. Non, notre méga-utilisation non-stop de nos écrans. J’exagère ? Ce n’est pas votre cas ? Vous avez de la chance (et vous n’êtes pas nombreux et nombreuses). Ça a été mon cas, et c’est celui de beaucoup de mes amis et amies. Je suis parfois impressionnée d’entendre l’un ou l’autre me dire qu’il ou qu’elle s’est couchée à 3h ou 4h du matin parce qu’il ou elle n’arrivait pas à décrocher d’Instagram.
Une drogue ?
Certains usages des écrans sont des drogues. Le mot est trop fort ? Je peux vous assurer que quand je commençais a regarder une série et que j’enchaînais tous les épisodes jusqu’à la fin, ç’en était une. Si par malheur, je devais quitter mon écran pour aller travailler ou faire autre chose auquel je ne pouvais pas déroger, je ne faisais qu’y penser jusqu’à ce que j’ai mon nouveau shoot. Seul la fin de la série, avec un goût un peu amer parce qu’il n’y a plus de nouveaux épisodes, pouvait m’arrêter dans ma boulimie. J’en ai discuté avec beaucoup de mes amis, et je pense que je suis un cas assez excessif, même si, dans l’idée générale, je sais que cela arrive à nombre d’entre nous.
La seule solution que j’ai trouvé est une cure… totale. Je refuse catégoriquement de regarder même « juste un » épisode d’une série. C’est un peu violent, d’autant que l’on me promet souvent que « cette série est vraiment super intéressante, je SAIS que tu vas l’aimer » ou « qu’il n’y a que 10 épisodes ». Sauf que je sais que 10 épisodes, c’est ne rien faire pendant les deux prochains jours. Et bien… non.
Les jeux, réseaux sociaux et de nombreuses autres applications ont été créées pour capter notre attention. C’est tellement pratique ou relaxant de faire quelque parties de ______ [ajoutez le nom de votre jeu préféré] dans les transport en sortant du travail ou de regarder les vidéos de ________ [ajoutez le nom de votre YouTubeur préféré].
Une drogue, n’est-ce pas un mot un peu fort ?
Je ne sais pas si on peut utiliser le terme de drogue, mais dans tous les cas, on peut utiliser celle de dépendance. Depuis 2013, l’American Psychiatric Association a classé les dépendances comportementales parmi les problèmes susceptibles d’être diagnostiqués.
« La dépendance est un état dans lequel une personne s’engage dans l’utilisation d’une substance ou dans un comportement dont les effets gratifiants l’incitent irrésistiblement à recommencer malgré ses conséquences négatives »
Adam Alter, docteur en psychosociologie, a étudié la manière dont les technologies développent des dépendances comportementales. Il explique : « Si je vous oblige à quitter Facebook, il est peu probable que vous souffriez de graves symptômes de manque ou que vous sortiez en cachette la nuit pour aller vous brancher dans un café Internet. Mais elles peuvent quand même sérieusement nuire à votre bien-être. Vous ne vous évaderez peut-être pas pour aller vous connecter à Facebook, mais si l’appli ne se trouve qu’à un clic grâce au téléphone que vous avez en poche, une dépendance comportementale, même modérée, rendra difficile pour vous le fait de résister au désir de consulter votre compte à de multiples reprises au cours de la journée. »
Tristan Harris est un lanceur d’alerte qui cherche à faire prendre conscience de l’addiction que nous avons aux technologies et que cette addiction est créée volontairement par les entreprises pour gagner un maximum d’argent. Formé au Persuasive Technology Lab, école qui étudie comment modifier les opinions et les comportements à l’aide de la technologie, il a fondé une startup dans le domaine, rachetée par Google. Il est devenu l’un des ingénieurs qui travaillait à rendre les services plus attractifs, jusqu’à une prise de conscience éthique. Selon lui, il est fondamental que nous prenions conscience que nous sommes manipulables. Il explique de Google et consorts se livrent « une course vers les tréfonds du cerveau » pour être ceux qui nous manipulerons le mieux. Pour capter notre attention. Parce que notre attention, c’est de l’argent. Et « c’est uniquement lorsque l’on prend conscience que l’on est manipulé, que l’on commence à mettre en place des actions pour reprendre la main sur notre vie ». Je vous conseille cette vidéo de 10 minutes où il explique brièvement quelques ressorts utilisés par Google.
« Les gens ne succombent pas aux écrans par paresse,
mais parce que des milliards de dollars ont été investis dans ce but. »
Tristan Harris
Les informations de cet encadré sont issues du livre « Minimalisme numérique » de Cal Newport, un livre passionnant.
Le problème, c’est que notre cerveau a besoin de moments de pause. Ils nous permettent de prendre du recul sur notre vie, de trouver des idées nouvelles, de résoudre les problématiques auxquelles nous faisons face, de laisser notre imagination travailler et nous ouvrir sur de nouveaux univers. Ce processus est nécessaire, ne serait-ce que pour limiter le stress. Pourtant, ces moments de pause commencent souvent par un moment d’ennui. C’est à partir de cet ennui momentané que l’on trouve le chemin vers le repos et l’éveil de l’imagination.
Laisser notre esprit divaguer… Dans nos vies surchargées, nous ne pouvons le faire que pendant les moments off : l’attente dans le cabinet du médecin, entre deux rendez-vous professionnels, dans les transports en commun, quand on attend les enfants devant l’école ou tout autre moment de transition d’une activité à l’autre.
Mais depuis que le téléphone, cette porte vers le monde entier, est à portée de main 24h/24h, nous avons acquis un nouveau réflexe : le regarder dès qu’on a une minute de pause. Une étude de 2014 indiquait que les utilisateurs de smartphone regardent leur téléphone 221 fois par jour, ce qui signifie, si on exclut les heures de sommeil, toutes les 5 minutes. Car en dehors de moments de pause, notre téléphone est utile à tout.
Pour conclure, ce qui est en cause avec notre téléphone portable, ce n’est pas son utilité. Le téléphone sert à tout et c’est hyper pratique. Mais si, comme la plupart des outils que nous utilisons sont développés pour créer une addiction, nous perdons notre autonomie individuelle. Nos comportements, nos ressentis, nos émotions sont modifiées pour que nous utilisions ces outils et le plus grave, c’est que cela se fait la plupart du temps au détriment d’autres activités que nous jugeons plus estimables.

« Tant que l’on reste dans un business model qui gagne de l’argent avec notre temps d’attention et tant que les utilisateurs ne comprennent pas que ce business model est toxique, il n’y a pas d’échappatoire. » Guillaume Chaslot, président d’Algotransparency
« Cet objet est une machine à sous, dit Harris au début de l’entretien en brandissant son téléphone intelligent.
– Une machine à sous? Comment cela? demande Cooper.
– Eh bien, chaque fois que j’y jette un œil, je lance la machine pour voir “ce que j’ai reçu”, répond Harris. [Les entreprises de technologie] emploient tout un catalogue de techniques pour que vous utilisiez le produit le plus longtemps possible.
– Les gens de la Silicon Valley programment-ils des applis, ou programment-ils les gens? interroge Cooper.
– Ils programment les gens, dit Harris. Ils sont toujours à raconter que la technologie est neutre, et que c’est à nous de choisir notre manière de l’utiliser. C’est juste faux…
– La technologie n’est pas neutre? le coupe Cooper.
– Elle n’est pas neutre. Ils veulent que vous l’utilisiez d’une certaine manière et pendant de longues périodes. Car c’est ainsi qu’ils gagnent leur argent.»
Interview de Tristan Harris par Anderson Cooper dans l’émission 60 minutes sur CBS, le 10 avril 2017